Étrange
État que cette régence d'Alger, vassale de la Turquie! Le
pouvoir est partagé entre la milice des janissaires (l'od-jak)
et
la corporation des corsaires (la Taïfa des raïs), sous
l'autorité du bey-lerbey.
Recrutés en Turquie, ces
janissaires ne sont souvent que des paysans illettrés, des vagabonds qui se transforment, à Alger, par la vertu de
l'uniforme, en de puissants seigneurs, avec
le titre d'effendi, tandis que
le plus respecté des notables africains se contente d'un sidi (« Monsieur
»). C'est à eux qu'incombent la sécurité
d'Alger, la mission de surveiller les collectes d'impôt et de réprimer les soulèvements des tribus
indociles. Lourde charge, car la Régence ne contrôle qu'un sixième de l'Algérie! Les Kabyles se révoltent sans cesse, et la collecte d'impôt prend des allures d'expédition militaire. Des forces de
réserve indigènes, les tribus makhzen, prêtent
main-forte à la milice si besoin est. Quant
à l'ordre intérieur, il fait l'objet de dispositions très strictes. Les
portes de la ville sont barricadées, et, des
tours de guet, des observateurs
surveillent la mer,
signalant les voiles suspectes. Les marchés sont sévèrement contrôlés, la fraude
fiscale lourdement punie. Les peines varient selon la nature du délit et l'état
civil du coupable : les petites fautes méritent la bastonnade, les
voleurs ont la main coupée. Les cas plus graves peuvent
encourir la mort : les Juifs sont brûlés, les chrétiens et
les esclaves pendus, les Turcs étranglés. La vie et la mort
des janissaires appartiennent à la Régence. Ils sont exemptés d'impôts
et touchent, en plus de leur solde, d'importantes rations alimentaires. Coupables, ils sont
jugés et punis dans le secret par le
capitaine de l'odjak. Point de vie
privée pour eux : sans leur être
interdit, le mariage retarde leur avancement, car il amollit le soldat. Quelques-uns passent outre et épousent une indigène. Leurs enfants, les koulough-lis, entreront dans la
milice. Brutale, disciplinée, puissante,
l'odjak jalouse le prestige des corsaires
et n'hésite pas à conspirer. Entre
les deux corporations, c'est souvent une guerre larvée. Lorsque le butin est gros, la Taïfa fait respecter sa
force par ceux qu'elle nomme avec mépris «
les boeufs d'Anatolie »; lorsque le
trafic baisse, le pouvoir passe aux
janissaires et à leur conseil, le divan.
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